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Ce qui nous a frappé: Salman Abu Sitta – "Un méchant terroriste"?
Helga Baumgarten
NachDenkSeiten, 4 mai 2024
La police et la presse berlinoises ont catalogué le Dr Salman Abu Sitta comme le méchant absolu. Depuis l'interruption du congrès sur la Palestine du 12 avril, son nom ne peut plus guère être cité. Il est ainsi devenu le terroriste numéro 1, plus encore que son neveu, le Dr Ghassan Abu Sitta, qui s'est vu refuser l'entrée à l'aéroport de Berlin (Karin Leukefeld et Annette Groth sur les "NachDenkSeiten") et plus encore que Yanis Varoufakis, ancien ministre grec des finances. Tous trois sont depuis lors "interdits d'activité" en Allemagne. Ils n'ont pas le droit d'entrer en Allemagne, par exemple pour participer à des conférences, même pas en direct via Zoom ou via une vidéo envoyée. Par Helga Baumgarten.
La vidéo envoyée par le Dr Salman Abu Sitta aux organisateurs jouait depuis quelques minutes à peine lorsque la police est intervenue, a stoppé la vidéo, coupé l'électricité et finalement interdit l'ensemble du congrès.

Salman Abu Sitta - au milieu de sa famille à l'âge de six ans
Qui est ce "tristement célèbre" Salman Abu Sitta ?
En janvier 2022, il a pu ouvrir un nouveau centre à l'Université américaine de Beyrouth (AUB), le "Palestine Land Studies Center" (PLSC). Dans ce centre, tous les matériaux documentaires - de véritables trésors pour tout historien ! - que Salman a rassemblés depuis le début des années soixante peuvent être trouvés et utilisés. Il s'agit entre autres de
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Des atlas de la Palestine, une fois de 1917 à 1966 (2004), puis de 1871 à 1877 (2020).
Tous deux sont basés sur des cartes qu'Abu Sitta a dénichées dans le monde entier et qu'il a méticuleusement collectées. -
2.000 cartes de la Palestine au cours des 200 dernières années, avec 55.000 noms de lieux du peuple qui, soi-disant, ne vit pas ou n'a pas vécu en Palestine.
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5.000 photos aériennes prises par la "puissance mandataire" coloniale britannique peu avant son départ de Palestine en 1948.
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300 photos aériennes prises par l'armée de l'air allemande pendant la Première Guerre mondiale
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500 000 documents de l'ONU sur la propriété foncière palestinienne en Palestine - en 1948, année de la création d'Israël : 94 pour cent de l'ensemble des terres.
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Documents de la Croix-Rouge internationale sur la Palestine/Israël 1948 - 1950.
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Archives des Quakers sur la Palestine pour les années 1948-1950. Les Quakers ont d'ailleurs été les premiers à construire des camps de réfugiés à Gaza.
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Cartes et détails de tous les massacres israéliens de 1948, avec des rapports et des souvenirs israéliens contemporains pertinents (rassemblés et traduits avec l'aide de gauchistes israéliens, par exemple Uri Davis, Tikva Parnass et d'autres encore).
Il serait hors de portée de ce petit article d'énumérer chaque détail de ces documents d'une valeur inestimable qui se trouvent désormais à l'AUB, l'Université américaine de Beyrouth [1].
Pourquoi Salman Abu Sitta a-t-il rassemblé tout cela pendant des décennies ?
La raison se trouve en 1948, l'année de la Nakba (la catastrophe historique pour les Palestiniens), lorsque les formations armées sionistes et, à partir de mai, l'armée israélienne ont chassé près de trois quarts de million de Palestiniens de leur foyer. Abu Sitta a vécu dans sa chair cette catastrophe de 1948 alors qu'il n'avait que dix ans. Il en parle dans son livre "Mapping My Return. A Palestinian Memoir" [2].
La famille a été attaquée sur ses terres, "Ma'in Abu Sitta", au sud-est de la bande de Gaza, par la Haganah, qui était arrivée avec 24 jeeps et chars. Tout a été détruit et brûlé sans exception, à commencer par l'école que le père avait fait construire en 1920, jusqu'à la maison d'habitation. Tout ce qui était récupérable, des moteurs aux pompes à eau du puits en passant par l'équipement du moulin, a été volé. Ceux qui se trouvaient sur le chemin de la Haganah étaient, comme l'écrit Salman, abattus.
"Le jour où Ben Gourion a proclamé l'État (d'Israël), je suis devenu un réfugié. Nous avons été expulsés vers la prison appelée Bande de Gaza, à 4 km de chez nous".
La famille de Salman Abu Sitta est donc originaire du sud bédouin. Son père, le cheikh Hussein Abu Sitta, y a occupé position de direction importante. Il était ouvert au développement et à la modernisation et, comme nous l'avons déjà mentionné, il a construit de sa propre initiative la première école de la région en 1920. Au début, il a même payé les enseignants de sa propre poche.
La description d'un officier israélien en 1948, reproduite dans un article d'Uri Davis en 2008, donne une idée du niveau socio-économique de la famille Abu Sitta :
"Nous sommes entrés dans la maison des Abu Sittas et avons été totalement étonnés : au milieu du désert[3], une richesse incroyable : des meubles luxueux, des vêtements orientaux et européens, une radio, un camion, une magnifique épée bédouine en argent, de grandes et importantes archives de photographies et de documents, des lettres par exemple de l'émir Abdallah de Transjordanie et de Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans en Égypte, un certificat d'avocat appartenant à un membre de la famille, l'Othello de Shakespeare en anglais juste à côté d'un Coran."
Salman Abu Sitta et sa famille ont été chassés de ce "paradis" et sont devenus des réfugiés comme presque tous les Palestiniens du sud de l'actuel Israël.
Ils ont été remplacés par des colons israéliens qui ont pris le contrôle des terres des expulsés de manière colonialiste, pas différente de celle des colons blancs aux États-Unis ou en Australie. Les cabanes préfabriquées improvisées de 1948 se sont transformées en kibboutzim, dont les noms sont devenus célèbres dans le monde entier depuis le 7 octobre.
Nirim a été créé sur les terres de la famille Abu Sitta. La maison d'enfance de Salman Abu Sitta, où il est né, se trouve à quelques mètres. Le kibboutz Ein Hashlosha, situé un peu plus au nord, a également été construit sur les terres d'Abu Sitta. En 1948, il y avait là d'immenses champs de céréales où l'on cultivait du blé et de l'avoine.
Abu Sitta ajoute : "Aujourd'hui, lorsque vous entendez les noms de ces kibboutzim, vous devez vous rappeler sur quelles terres ils ont été construits. Et vous ne devez pas oublier que les propriétaires de ces terres n'ont jamais renoncé à leur droit au retour"[4].
La famille de Salman l'a envoyé au Caire après son expulsion de Gaza, afin qu'il puisse recevoir une bonne éducation scolaire. Des études d'ingénieur ont suivi. Après une première expérience professionnelle au Koweït, il a entamé des études de doctorat en ingénierie à Londres.
Depuis lors, c'est-à-dire depuis le début des années soixante, Salman a commencé à rassembler tout ce qu'il pouvait trouver sur la Palestine en 1948. Il a mis l'accent sur les cartes, les photos aériennes et les photographies. Son objectif était de garder une trace de ce à quoi ressemblait la Palestine en 1948 et avant : où se trouvaient les villages et les villes, ce qui était cultivé et où, qui vivait où, etc.
En outre, il voulait et pouvait ainsi réfuter le mythe sioniste de la "terre sans peuple" et du désert que les sionistes ont fait fleurir [5], de manière empirique et scientifique et avec des images convaincantes.
Enfin, et c'est ce qui déterminera son travail au cours des dernières années, il s'est consacré à la planification du retour des Palestiniens dans la patrie dont ils avaient été chassés en 1948.
Abu Sitta, en sa qualité de scientifique, d'ingénieur et de planificateur, considère cette tâche comme l'œuvre de sa vie.
A ce stade, je dois revenir au début de mon article et à la citation qui fait de lui un terroriste et un antisémite aux yeux de la police et des politiques berlinois.
"Oui, j'aurais pu être l'un de ceux qui ont franchi la barrière si j'étais plus jeune et si je devais encore vivre dans le camp de concentration de Gaza".
Et il explique ce qu'il entend par "camp de concentration de la bande de Gaza" :
"Ce n’était pas assez d'être expulsés en 1948 et de devenir des réfugiés. Ils ont été attaqués à plusieurs reprises dans leurs camps d'exil : en 1953, 1956, 1967, 1971 et 1987, enfin depuis 2006 et jusqu'à aujourd'hui avec une cruelle régularité"..
Dans mon dernier livre (2021), j'appelle cela la "longue guerre contre Gaza".
Mais c'est justement en cela que Salman Abu Sitta jette un pont entre 1948 et 2023 jusqu'à aujourd'hui, un lien temporel qui a manifestement totalement échappé aux puissants de Berlin.
Il montre clairement qu'une partie considérable des personnes déplacées en 1948 viennent précisément de la région et des localités connues depuis le 7 octobre pour les attaques de Gaza par le Hamas, le Jihad islamique et par un nombre inconnu de simples habitants de la bande de Gaza.
Après avoir fait référence à 1948 et aux attaques continues contre Gaza depuis lors, Abu Sitta se concentre sur la période depuis le 7 octobre 2023.
Comme il l'affirme, "... le ... nettoyage ethnique de 2023 s'est transformé en un génocide inconcevable, ce qui était jusqu'alors inconnu dans l'histoire coloniale. Le degré de brutalité, les innombrables femmes et enfants tués, les immenses surfaces de destruction, le nombre de bombes larguées sur la bande de Gaza, comparativement minuscule, en moins de trois mois, dépassent tout ce que nous avons connu au cours des deux guerres mondiales".
Abu Sitta souligne que toutes les diffamations sordides [6] se sont révélées fausses... Et il estime qu'à Gaza, il est de notoriété publique que les jeunes qui ont forcé les barrières autour de Gaza suivent "un code moral clair"..
Il conclut son intervention par cette phrase : "L'histoire nous montrera qui a défendu héroïquement sa patrie et qui a commis tant de crimes cruels et honteux. La mémoire déterminera l'histoire des deux peuples".
Dans la lecture berlinoise de Salman Abu Sitta et de son article qui vient d'être longuement cité, il s'agit d'un terroriste qui soutient et glorifie la violence et le crime. Rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité.
Dans son discours d'inauguration du "Palestine Land Studies Center" (PLSC) à l'American University of Beirut (AUB 2022), il arrive à cette conclusion :
"Pour terminer, je voudrais m'adresser aux jeunes, aux futurs étudiants du PLSC. Vous n'avez pas besoin de revêtir un uniforme ou de porter un fusil pour affirmer votre identité et retrouver votre patrie perdue. Tout ce dont vous avez besoin, c'est de soin, de conscience et de détermination"..
Selon Salman, le retour des personnes déplacées est possible sans violence et sans nouvelles expulsions. Il le montre clairement dans son livre "Mapping My Return".
Convaincu que la volonté de millions de personnes, aussi impuissantes soient-elles, l'emporte toujours sur un pouvoir politico-militaire, quelle que soit sa puissance, Salman et ses partenaires du monde entier ont commencé à planifier la reconstruction des villages palestiniens détruits. Ils le font à l'aide d'une "base de données massive". Celle-ci permet d'enregistrer la maison de chaque réfugié dans son village d'origine, les terres qui en faisaient partie, ses biens et ceux de sa famille élargie (hamula) ...
Les planificateurs, jeunes pour la plupart, établissent pour chaque village un fichier avec les plans des maisons telles qu'elles étaient avant 1948 ... De jeunes architectes travaillent à la reconstruction de ces villages détruits avec l'objectif qu'ils soient reconstruits là où ils se trouvent, avec la beauté des anciennes façades, mais avec un aménagement moderne.
Ce travail correspond d'ailleurs et est comparable au travail de "Zochrot" en Israël aujourd'hui, ainsi qu'au travail de l'ancien directeur et fondateur de Zochrot, Eitan Bronstein, aujourd'hui de "De-Colonizer". Il y a également un article fascinant sur le village de Miska, détruit en 1948, en tant que coopération entre une équipe de New York, de jeunes Palestiniens et des Israéliens juifs et Zochrot est à mentionner ici[7]. Le lieu de naissance de Salman, al-Ma'in, est également un centre de planificateurs. Sa nièce et une petite-fille de son frère, toutes deux architectes et planificatrices, y travaillent ... Au centre se trouverait l'école que son père a construite en 1920.
L'optimisme, l'espoir, l'amour de la vie déterminent aussi la vie, surtout des jeunes, dans l'enfer de Gaza. Dans une interview sur Electronic Intifada du 24 avril, l'adolescent Abu Baker de Gaza célèbre la rose jaune qu'il a pu hisser - et fait ainsi un lien direct avec le poème[8] de Mahmoud Darwish "Mais nous aimons la vie" :
„Mais nous, nous aimons la vie quand nous la trouvons
Nous dansons entre deux martyrs,
érigeons entre les deux un minaret de violettes
ou plantons des palmiers-dattiers".
["1] Ils peuvent être consultés sur le site web du Palestine Land Studies Center : www.plands.org
["2] AUC Press, Le Caire : 2016
["3] Salman Abu Sitta montre dans son livre qu'il ne s'agissait pas d'un désert, mais d'une région agricole riche et cultivée.
["4] C'est d'ailleurs un droit garanti par les résolutions pertinentes de l'ONU : la plus importante est la résolution 194 de l'ONU, décembre 1949,
["5] Même Mme von der Leyen continue manifestement de croire à ces absurdités. L'historien Alexander Schölch, malheureusement décédé trop tôt, a toujours fait référence à un simple fait : les oranges qui sont toujours exportées vers l'Europe s'appellent des oranges de Jaffa, et non des oranges de Tel Aviv. Voir la ouverte ettre de Salman à Ursula von der Leyen.
["6] Des bébés dont la tête a été coupée, de véritables campagnes de viols, etc.
["7] Torre, Maria Elena et alii (and others). 2018, "Critical Participatory Action Research on State Violence : Bearing Witness Across Fault Lines of Power, Privilege and Dispossession", in The SAGE Handbook of Qualitative Research, éd. By Norman K. Denzin and Yvonna S. Lincoln, 492-515, Los Angeles : Sage Publ.
["8] Mis en musique dans une chanson de l'auteur-compositeur palestinien Mustafa al-Kurd